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« On ne se sentait jamais vraiment en sécurité »

TEMOIGNAGE

Alors  que la  onzième  Coupe  du Monde s’apprête  à  démarrer le  1er juin  1978, l'Argentine,  pays hôte, vit sous la dictature du général Jorge Videla depuis deux ans. Patricia H., 24 ans à l'époque, se souvient de son quotidien :

 

« Pour ceux qui ne remettaient pas en cause la dictature, la vie avait une apparence de normalité tandis que pour ceux qui avaient, par exemple, des sympathies à gauche, c’était la peur. La police était particulièrement présente. Il était impensable d’aller où que ce soit sans avoir ses papiers sur soi (un contrôle de police étant toujours possible partout). Mais il n'y avait pas que la police. L'armée  occupait  les  rues  aussi  et  travaillait  main  dans  la  main  avec  la  police.  Les perquisitions étaient devenues monnaie courante et les bibliothèques étaient expurgées de tout titre à connotation "révolutionnaire". On ne se sentait jamais vraiment en sécurité.

Un rien  pouvait éveiller  les suspicions  de  la  police.  Par  exemple, il  était risqué,  pour  les  hommes,  de  porter  la barbe :  c’était considéré  comme un symbole d’appartenance  à  gauche. A l’époque, j’habitais  en banlieue. Je  terminais mes  cours  à l’Alliance Française  de Buenos Aires. Je  prenais  le  train  de banlieue pour rentrer chez moi et n’arrivais qu'après 23 heures. Eduardo, mon fiancé (qui portait la barbe), venait donc me chercher pour que je ne rentre pas toute seule jusque chez moi. Il se faisait régulièrement interroger  par  la  police.  Un  soir,  on  lui  a  dit  «  Halte  !  »  et on  lui  a  mis  une mitraillette sur le cou, près de l’oreille. On lui a demandé si son cœur battait fort et celui qui le menaçait de son arme lui a dit :

«  Ton  cœur,  je  peux  l’arrêter,  si  je  le  veux  »

Parfois,  ils joignaient le geste à la parole. Dans mon entourage, sept personnes ont disparu. Des camarades de classe, le mari d'une étudiante, un collègue de mon mari. Il y avait aussi les exilés et les personnes passées à tabac. Une fois, sur mon lieu de travail, j'écoutais un jeune musicien raconter à ses collègues comment il avait été battu par la police qui l'avait suspecté de terrorisme. »

© 2014 par Hugo Lane, Matthieu Mendolia & Guillaume Rathier. Propulsé par Wix.com
 

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